La Haute école de travail social de Genève (HETS Genève) fête ses 100 ans du 11 au 14 octobre 2018 ! En tant qu’alumni et représentant des alumni de cette école, il est intéressant d’avoir ton point de vue sur l’évolution du métier de travailleur social et de la formation.
En 100 ans quelles ont été les évolutions majeures du métier à ton avis ?
100 ans, ça remonte à loin, mais je dirais que l’évolution s'est essentiellement faite par une professionnalisation et une spécialisation du travail social, ainsi que par la mise en place de politiques publiques pour les situations sociales des citoyens les plus fragilisés.
Même question au niveau de la formation ? Est-ce que la formation a suivi l’évolution du métier et vice-versa ?
La formation du travail social a évolué, mais elle ne s'arrête pas à l'école. La formation de l'HETS donne des bases qui permettent ensuite à chacun de se spécialiser sur le terrain et de s’adapter aux contextes et aux défis actuels. C’est vrai que les HES ont cette particularité d'être proches des réalités de terrain avec une bonne partie de la formation qui se déroule sous forme de stage, ce qui à mon avis est un point essentiel pour avoir une formation qui s'adapte à son époque. Lors de mes études, j'ai le souvenir que les enseignants de la HETS se mobilisaient souvent sur les sujets d’actualité, que nous retrouvions ensuite traités dans des modules, et autres cours thématiques que nous nous approprions. Afin d'illustrer ce lien avec l'actualité, je suis persuadé que si l'on observe les thématiques choisies par les étudiants pour leurs travaux de mémoire, celle des réfugiés, en lien avec les vagues migratoires récentes, sont plus fréquemment choisies ces trois dernières années. A mon avis la formation de la HETS se nourrit des actualités et des problématiques sociales puisqu'il s’agit en fin de compte pour le travailleur-euse social(e) de répondre à des besoins qu'il retrouve ensuite sur le terrain.
Dans l’émission Tribu de la RTS du 04.10.2018, la directrice de l’école, Madame Joëlle Libois, a fait part de l’évolution positive de la reconnaissance des métiers du travail social grâce à l’introduction de la formation CFC et des études supérieures en HES avec le niveau bachelor et/ou master. Qu’en est-il sur le terrain en réalité ? Est-ce que le métier est mieux reconnu et valorisé ?
Depuis l'introduction de la formation CFC, il y a un fort engouement des jeunes pour le métier d'ASE. C'est d'ailleurs, depuis quelques années le métier qui compte le plus de contrats d'apprentissages à Genève, après le métier d'employé de commerce et celui de gestionnaire du commerce de détail. Bien que les offres de places soient nombreuses, entre les crèches, les EMS et les Institutions pour personnes handicapées, je constate que la demande des jeunes pour ce métier dépasse l'offre. Dans ce sens, j'en déduis donc qu'il y a une reconnaissance, et une aspiration plus grande pour les métiers du social auprès des jeunes. Par ailleurs, j’ai l’impression qu’un plus grand nombre de personnes sont informées et sensibilisées aux problèmes sociaux et environnementaux de nos sociétés. Nous avons également une plus grande visibilité des pratiques et politiques sociales des autres pays. A mon avis, l’un des effets en Suisse, est qu'il n'y a plus grand monde pour contester l’utilité de politiques sociales et de prévention, bien que les budgets qui y sont dédiés ne soient pas toujours suffisants.
Beaucoup de métiers subissent une forte évolution due à la digitalisation. Ressens-tu aussi cette mutation dans ton activité/métier ? Est-ce que les travailleurs sociaux seront remplacés par des robots dans 100 ans ?
Dans 100 ans, je ne sais pas. La société évolue tellement vite qu’une projection à une vingtaine d’années, c’est déjà beaucoup. Avant les robots, nous avons déjà à faire avec les mutations liées à l’utilisation du Big Data et de l'intelligence artificielle qui permettront à chacun d’avoir un assistant personnel qui anticipera certains de nos besoins. Bien qu’il y ait déjà des expérimentations d’assistance artificielle avec les personnes âgées, je ne pense pas, ou du moins je n’espère pas, que les travailleurs sociaux soient remplacés. Par contre, l’utilisation généralisée des données quantitatives dans nos sociétés, et dans le domaine du social, amène à mon avis une mutation importante. Elles permettront certes de resserrer les mailles du « filet social » dans le sens où la digitalisation, et les bases de données facilitent l’identification des personnes et leur traçabilité. Toutefois, il faudra probablement que les travailleurs-ses sociales apprennent à communiquer davantage sur le sens de leur pratique, avec une dimension humaine et solidaire, si toutefois, dans vingt ans ou cent ans, la société et les travailleurs-ses sociaux voudront encore de ces valeurs.
Pour que l’employabilités des diplômés des HES de travail social reste toujours aussi importante (98% des diplômés trouvent un emploi durant la 1ère année de la fin de leur études) à quoi les HES en travail social, politiques, institutions et/ou autres acteurs doivent-il veiller ?
Ce n’est pas un problème d’actualité, mais s'il se posait, il faudrait peut-être que les écoles, la HETS mais également l’Ecole d’assistant-e socio-éducatif-ve-s fassent des sondages et des estimations concernant les demandes institutionnelles et prennent connaissance des choix des politiques sociales en cours, ensuite d'en adapter les effectifs. C’est certainement complexe et difficile à calculer, mais se poser la question serait à mon avis déjà un début de solution si l’employabilité après les études venait un jour à poser problème. Toutefois, je dirais que nous sommes actuellement dans une dynamique inverse et cela ne m’étonnerait pas que le taux d’employabilité monte à 99% pour faire résonnance aux inégalités qui, même en Suisse, continuent de se creuser. Concernant le volet de l'employabilité, je pense que les formations HES, par exemple à l’Ecole Hôtelière EHL ou à la HETS, permettent l’acquisition de compétences qui sont également recherchées dans d’autres secteurs d’activité, et permet donc une mobilité professionnelle importante. C’est ce que j’ai pu constater, lors de la création de l’association des Alumni de la HETS en 2013, nous avons contacté des centaines de diplômés. Il y avait des parcours professionnels variés, dont un bon nombre dans d’autres domaines d’activité, ce qui compte également si l’on souhaite évaluer l'employabilité. L’autre piste à développer en termes d’emploi, et qui pourrait faire l'objet de modules durant la formation, c’est l'idée que le travailleur social puisse identifier des besoins et créer par lui-même des prestations qu'il pourrait proposer ensuite aux institutions ou directement au public concerné en imaginant également d'autres schémas de financement. Comme par exemple ces diplômés de l'EESP de Lausanne, qui suite à leur travail de mémoire sur l'impact des médias et des nouvelles technologies de l'information, ont créé l'association Cybercoachs.ch. Cette dernière oriente diverses activités autour de la sensibilisation et de l'information auprès des jeunes, des parents et des professionnels.
A la fin de ta formation, étais-tu prêt à affronter la réalité du terrain parfois difficile et les pressions qui sont soumises sur les institutions et travailleurs sociaux ?
L’expérience institutionnelle précède la formation pour quiconque souhaite passer par le processus d’admission de la HETS. Il y a eu des changements de forme depuis mon admission en 2003, mais le principe du stage de longue durée est resté inchangé, avec l'entrée de la maturité spécialisée en travail social de l'Ecole de Culture Générale. Il s’agit de plusieurs mois de stage qui permettent de découvrir rapidement la réalité du terrain et du fonctionnement institutionnel. Ensuite, une fois la formation commencée, le terrain n’est jamais loin, car comme je le disais précédemment, une bonne partie de la formation se fait en stage (six mois en deuxième et troisième années). Dans ces conditions, c’est une confrontation progressive, avec des temps de recul qui permettent d’intégrer la théorie, et de la relier à la pratique. Ainsi, on se rend compte très tôt qu'il y a au sein des institutions des collaborateurs régulièrement épuisés, d'autres qui manquent de budgets, ainsi que des associations qui peinent à trouver des financements. Tout ça fait partie de la réalité de notre travail. Pour terminer, ces difficultés, sont peut-être une constante que l’on peut souligner, tout comme la mise en place des politiques et la professionnalisation du métier qui a depuis quelques années son « Master of Arts HES en travail Social ». En quatre générations, un sacré chemin a été parcouru!